Candy a-t-elle peur? Rouky est-il en colère? Que craint Watson? Et Pénélope est-elle jalouse ou triste? Le langage des propriétaires propose pour l’animal familier un vocabulaire de l’émotion tout à fait comparable à celui de la psychologie populaire.
Mais les animaux ont-ils des émotions?
C’est un débat qui a agité le monde scientifique et l’émotionne encore, si j’ose dire. Alors pour mettre tout le monde d’accord, je vais me référer aux racines latines du mot émotion: « e-motere », signifie « se mettre à bouger ». L’émotion n’est rien d’autre que cela: une impulsion à se mettre en action. Et cette définition regroupe en fait deux éléments: une impression subjective et un comportement particulier. Des anthropologues et des sociologues ont démontré que les émotions exprimées sur le visage d’un américain blanc étaient compréhensibles pour un indigène australien, et réciproquement. C’est une première façon objective, scientifique, d’étudier les émotions. Les animaux ont eux aussi des expressions faciales et corporelles qui permettent de leur attribuer sinon des émotions, au moins des intentions de communiquer. Le chien qui a peur se tasse sur lui-même, couche les oreilles, lisse les traits de son visage. Le chien en colère découvre les crocs, tend les oreilles en avant, dresse le poil, se grandit. On décrit aussi de nombreuses attitudes intermédiaires. Ce langage a été décodé par les éthologistes qui reconnaissent les émotions sociales de base: la crainte et la peur, la colère et la frustration, l’inhibition, etc. Il y a bien entendu aussi la faim, la soif, le désir sexuel, et toutes les autres émotions qui permettent la survie de l’individu et de l’espèce.
Une autre façon d’étudier les émotions est de découvrir la chimie du cerveau qui accompagne telle ou telle expression corporelle. Et là, nous n’en sommes encore qu’au début des découvertes. L’adrénaline, la dopamine, la sérotonine, et d’autres molécules nombreuses, viennent jouer un rôle fondamental lors de la transmission des informations dans cet ordinateur biologique qu’est le cerveau. Et c’est grâce à la découverte du rôle de ces molécules que nous sommes capables d’influencer les émotions avec des médicaments.
Il y a des émotions normales, il y a aussi des émotions pathologiques. Pourquoi pathologiques? Parce qu’elles empêchent l’individu de s’équilibrer, de s’adapter à un milieu particulier. Le chien qui sursaute au coup de tonnerre, tremble, veut s’enfuir et se jette par la fenêtre, n’en est qu’un exemple. Cet autre chien ira se réfugier sur les meubles de cuisine et ce troisième se terre dans la baignoire. Enfin ce quatrième chien agresse toute personne qui veut le caresser, ne comprenant pas l’intention amicale de ce contact. Ces réactions ne sont pas fonctionnelles, elles empêchent l’animal de s’adapter confortablement à son milieu. L’animal qui a des réactions de peur violente à des stimuli somme toute anodins souffre de phobie. La phobie est une émotion pathologique. Les animaux qui souffrent de phobies ne guérissent que rarement spontanément.
Quand les peurs deviennent incompréhensibles, que l’animal réagit à des variations bénignes de son environnement quotidien, qu’il souffre dans son corps de troubles psychosomatiques, on le dit anxieux. L’anxiété peut être liée à des troubles externes, des traumatismes émotionnels, ou à des perturbations internes des hormones, de la chimie du cerveau. L’anxiété est un état émotionnel pathologique.
Phobies et anxiétés se soignent par une combinaison de médicaments et de thérapies. Les médicaments font peur aux propriétaires parce qu’ils en ont souvent une idée fausse. L’animal n’est pas calmé, endormi, par des médicaments, parce qu’alors, comment serait-il encore capable d’apprendre? Et apprendre est nécessaire, et c’est le but des thérapies, comme la désensibilisation. Au cours de cette thérapie, on met l’animal en présence avec le stimulus dont il a peur à toutes petites doses d’abord, à doses croissantes ensuite sur une période de 3 à 6 semaines. Pour mettre au point cette thérapie, un travail avec un vétérinaire spécialisé est nécessaire.
Très loin de la normalité se trouve l’individu en dépression. La dépression modifie tellement la chimie du cerveau que l’animal n’est plus capable de s’en sortir tout seul. Il lui faut de l’aide. L’animal en dépression chronique souffre d’insomnie, de troubles de l’appétit, de perte des initiatives et de réduction des capacités d’apprentissage. Il présente aussi souvent des accès de panique sans raison visible. Aidé par une médication appropriée, prescrite par un vétérinaire, il va pouvoir récupérer une envie d’être et d’agir, et on mettra à profit cette énergie nouvelle pour lui proposer des thérapies douces, comme une remise au travail, au jeu, etc. On lui proposera de nouvelles relations sociales, on l’encouragera dans ses efforts de communication.
Dr Joël Dehasse
Médecin vétérinaire comportementaliste