La question du « mordant » est un sujet de polémique. Est-ce convenant d’apprendre aux chiens à mordre? Est-ce éthique, utile, ou dangereux?
En tant que scientifique, je me propose d’analyser un modèle théorique simple, qui s’applique à de nombreux cas d’apprentissage du « mordant ».
Le mordant nécessite un apprentissage en 4 étapes de difficulté croissante.
Etapes | Commentaires |
La première étape consiste à accroître l’intensité de la morsure, par des jeux de traction sur des chiffons, des nœuds et autres objets. Il faut que le chien – jeune généralement – en apprentissage de mordant tienne la morsure, qu’il morde fort. | Accroître le mordant est totalement opposé à l’éducation que donne une chienne à ses chiots, à savoir une intervention correctrice quand les morsures ne sont pas régulées, par une prise en gueule de la tête du chiot et un écrasement au sol. Les propriétaires d’un chien de famille devraient reproduire ce geste éducatif afin de faciliter l’apprentissage du contrôle de soi dont manquent cruellement de nombreux chiens aujourd’hui. Un chien passe au cours de sa vie à travers différents moments d’instabilité, de douleur, de changements d’émotion. Mordre étant un comportement normal pour un chien – du moins dans le respect de certains rituels – il est possible que le chien utilise ce qu’il a appris et morde fort au lieu de mordre avec contrôle. |
La seconde étape nécessite le conditionnement de l’attaque sur la cible, à l’ordre précis. En corollaire, le chien ne peut pas attaquer si l’ordre n’est pas donné. En complément, le chien devra apprendre à mordre au bras ou à la jambe, sans faillir. C’est donc un triple apprentissage que cette deuxième étape. | Le chien enthousiaste ou impulsif devra subir un contrôle bien plus efficace qu’un chien qui manque de fougue. La sélection porte actuellement sur des chiens de plus en plus fougueux, parfois trop impulsifs et difficile à contrôler. Néanmoins, cette étape du dressage passe par cette obligation d’interdire au chien de mordre spontanément et de n’attaquer qu’à la demande du dresseur. Cela ne peut être obtenu qu’avec un chien qui a déjà subi un apprentissage d’écoute et d’obéissance de base très poussé et qui obéit sans faille. Bien entendu, seul un couple maître-chien en total contrôle de soi pourra réaliser cette étape avec succès. Le risque proviendra d’un déséquilibre émotionnel tant du dresseur que du chien. |
La troisième étape consiste à arrêter l’attaque à l’ordre. C’est plus difficile parce que le chien doit pouvoir être arrêté à tout moment de l’attaque, avant la morsure ou pendant la prise du bras ou de la jambe. | Il est malaisé d’arrêter le chien parce qu’il est concentré sur l’activité de l’attaque. Il faut donc que le maître et son élève-chien soient en parfaite harmonie et que le chien soit à tout moment attentif à la voix et aux gestes de son maître et à l’action en cours. Etre réceptif à deux messages en même temps n’est pas donné au premier chien venu. En visualisant de nombreuses séances ou vidéos d’attaque, j’ai pu constater que peu de chiens arrêtent au premier ordre, et que l’ordre d’arrêt doit être répété. Cette situation est dangereuse. |
La quatrième étape , la plus complexe, est de passer de l’attaque en situation de dressage sur figurant volontaire (l’homme d’attaque, l’apache) à une situation réelle. Cette fois, le chien doit discerner l’ami de l’ennemi, les passants sans risque et la cible à risque. | Cette étape nécessite que le chien ait un haut niveau d’intelligence et de socialisation. Que se passerait-il si le chien se trompe de cible et attaque un enfant ou une personne moins valide, parce que cette personne ne présente pas un schéma auquel le chien a été intensément socialisé? La socialisation et la sociabilité des chiens de travail devraient être encore plus poussées que celles des chiens de famille. On sait aujourd’hui que l’expérience (sociale) acquise avant l’âge de 3 mois permet un développement supérieur de la structure et du fonctionnement du cerveau et aussi de l’intelligence. |
Il y a sur terre de nombreux chiens qui jouent à mordre et sont de parfaits chiens de famille. Il y a sur terre de plus nombreux chiens qui sont impulsifs à la morsure et ne sont pas équilibrés et deviennent alors des « bombes à retardement » pour utiliser un terme fort. Il y a des chiens craintifs à qui l’on veut donner plus de confiance en eux en les faisant mordre – à tort – car le mordant ne rend pas sain un chien malade (tout comme les cours de gymnastique ne soignent pas les enfants craintifs, anxieux ou hyperactifs). Et il y a des chiens « déséquilibrés » à qui l’on apprend à mordre très fort – c’est hautement dangereux!
Il faut aussi savoir que plus de 50% des chiens n’ont pas un total équilibre comportemental.
Mon conseil est de ne réaliser l’apprentissage au mordant que pour les chiens professionnels et de sport et de décourager le mordant pour les chiens de famille.
On peut remplacer les mots « attaque de l’apache » par des mots plus doux comme « lancer sur un figurant », par exemple. Mais cela ne change rien à la complexité du processus d’apprentissage.
Alors, autant savoir que les bons chiens-de-mordant-et-de-famille sont rares et appartiennent à des dresseurs d’élite.
Tout corps professionnel est doté d’une qualification officielle, d’une éthique et d’une déontologie, permettant à ses membres d’engager leur responsabilité tant légale que pénale dans leur activité professionnelle.
Qui prendra la responsabilité d’un accident lorsque le chien, encouragé par un apprentissage au mordant, se sera trompé de cible: le dresseur, le propriétaire, …?
J’aimerais avoir l’avis des compagnies d’assurance sur ce sujet …
Dr Joël Dehasse
Médecin vétérinaire comportementaliste