Dans cette nouvelle rubrique sur les animaux, nous allons parcourir le monde étonnant du comportement du chien et du chat, avec le Dr. Joël Dehasse, médecin vétérinaire et écrivain, dont l’activité professionnelle est centrée sur l’étude et la résolution des troubles du comportement.
L’éthologie, maîtrisée par les vétérinaires
L’éthologie, la science du comportement, est à la médecine vétérinaire ce que la psychologie et la psychiatrie sont à la médecine humaine. Chiens et chats souffrent de troubles anxieux, dépressifs ou agressifs, que l’on comprend mieux et que les vétérinaires soignent aujourd’hui.
Le chien et le chat dans notre culture occidentale, les bovins dans d’autres milieux culturels, forment avec l’être humain un système social complexe dans lequel chacun doit s’adapter à l’autre. La présence du chien au contact de l’homme depuis 15 mille ans démontre qu’il est hautement adaptable aux sociétés humaines. Le chat, malgré son appartenance à une espèce solitaire, est capable d’apprendre à vivre dans des sociétés particulières dont nous aurons l’occasion de parler; sa présence auprès de l’homme depuis quelques 5 milles ans démontre son accommodation aux groupes humains.
Connaissance populaire et connaissance scientifique: distinguer le vrai du faux !
Prenons le cas particulier du chien et du chat, les deux animaux de compagnie les plus représentés dans le monde occidental, puisque chacune de ces deux espèces correspond à environ 15% de l’équivalent de la population humaine.
Pour parler du comportement et des capacités d’adaptation du chien et du chat, nous pouvons nous référer à la connaissance populaire et à la connaissance scientifique.
La connaissance populaire aurait tendance à affirmer que les animaux de compagnie ont un instinct qui leur permet de vivre avec l’être humain, voire de veiller sur lui, et notamment de protéger les enfants. Ce fait est démontré chez l’être humain à l’égard de l’animal; malheureusement, sauf exception, on n’a pas pu le démontrer chez l’animal, sans dressage particulier.
Chez l’homme, il existe une tendance innée à se pencher vers-, et prendre dans les bras, les animaux à tête ronde, aux grands yeux, au rapport tête/corps de 1/4, pourvus de ce que l’on appelle des caractéristiques de nouveau-né (présentes chez le jeune animal) ainsi que chez le bébé humain. L’animal aux traits infantiles serait ainsi un leurre de bébé humain.
On ne peut pas exclure que le même processus existe chez l’animal (particulièrement chez la chienne), mais, à ma connaissance, il n’a pas été prouvé. Différents comportements normaux existent chez le chien (pas chez le chat sauf exception) en face d’un enfant en bas âge:
-l’interdiction d’accès d’un inconnu à un bébé par un(e) chien(ne) adulte;
-le kidnapping d’un bébé par une chienne (dominante) et le comportement de protection (agression maternelle) contre toute personne, particulièrement la mère du bébé;
-l’agression de chasse d’un chien adulte à l’encontre d’un bébé (sauts pattes jointes, morsures directes sans menace, agression du landeau pour le faire basculer, …);
-l’agression irritative (par douleur, frustration, faim, …) ou par peur d’un chien ou d’un chat (de tout âge) à l’égard d’un enfant (en bas âge, ou quel que soit son âge);
-l’agression compétitive d’un chien (de tout âge) sur un enfant (de tout âge) par compétition pour un aliment, un espace signifiant (valeur hiérarchique), ou une attention sociale (des parents-propriétaires adoptifs).
Nous ne parlons pas ici de comportements ou d’émotions pathologiques, de chiens ou chats anxieux, agités, ou souffrant d’une lésion du cerveau, …
A partir des exemples qui précèdent, nous ne pouvons pas affirmer que le chien ou le chat possède un comportement inné de protection vers l’homme (vers l’enfant).
Profil racial: idées reçues et … corrigées !
La connaissance populaire parle aussi de races prédisposées à l’amitié humaine. On cite à ce propos l’ensemble des chiens Retrievers comme étant particulièrement doués d’un tempérament calme et affectueux, d’une grande sociabilité et d’une éducation facile, toutes qualités qui font d’eux des chiens prédisposés à aider les handicapés ou aimer les enfants.
Est-ce vrai, est-ce faux?
A Denver en 1982, les Bergers Allemands mordaient 11 fois plus les enfants que les Labradors. Dans une autre étude publiée la même année, réalisée à partir d’une revue des médias pendant 10 ans, le Berger Allemand était responsable de 16 décès humains par morsure, le Golden Retriever de 3 et le Labrador de 1 (de même que le Yorkshire, par exemple). Le danger, la gravité, s’accroît quand la différence de taille et de poids entre le chien et la victime s’amplifie au détriment de la victime. C’est ainsi que les grands chiens sont responsables de plus d’accidents dangereux et que les victimes sont plus souvent des enfants en bas âge.
Mais dans ma consultation de comportement, on me présente plus de Labradors que de Bergers Allemands pour agressivité; sans doute s’attend on plus facilement à de l’agressivité avec un Berger Allemand qu’avec un Retriever. Et actuellement (c’est un fait assez récent), le Labrador est devenu le prototype du chien agité, hypersensible et hypermoteur; ce qui ne veut pas dire qu’ils sont tous agités, mais que l’on retrouve un pourcentage important d’individus dans cette race qui souffrent d’un déficit de leurs autocontrôles; cette maladie peut être soignée et guérie, surtout si on intervient avant la puberté.
Ceci témoigne que la connaissance populaire influence, « façonne » le comportement du chien par l’éducation et l’environnement que l’on impose à l’animal. La tolérance de comportements agressifs est plus grande quand la réputation de la race est d’être agressive.
Un profil racial est toujours erroné. C’est une fenêtre ouverte sur une race, à un moment et un lieu donnés. Mais la race, le comportement de la race, peut évoluer et changer dramatiquement en quelques années, et varier d’un pays à l’autre, suivant la politique locale de sélection. Le Labrador avait hier la réputation d’un chien calme; aujourd’hui c’est parfois devenu un chien agité.
L’influence de l’environnement: plus importante qu’on ne le pensait !
Une étude, faite il y a 30 ans, démontrait que l’aptitude des chiens guide d’aveugle diminuait de façon dramatique si le chiot était placé en famille d’accueil après 12 semaines au lieu de l’être avant 10 semaines. Ceci illustre l’impact de l’environnement (supérieur à celui de la génétique) sur le développement du comportement.
De même un chaton qui se développe pendant 3 mois dans un milieu obscur devient-il définitivement aveugle; s’il vit dans un milieu composé de lignes verticales, il ne percevra jamais les lignes horizontales; ses yeux (pupille, rétine) sont fonctionnels mais son cerveau ne comprend pas les impulsions fournies par la rétine et ne forme pas les images; son cerveau visuel est atrophié, inefficace.
Nous pouvons extrapoler cette expérience à toutes les perceptions sensorielles, à l’audition, à l’odorat, au goût et même aux capacités sociales.
On sait aujourd’hui que le cerveau se structure autant, voire plus, sous l’influence des stimulations de l’environnement, que sous l’influence interne des gènes.
Période de socialisation: à ne rater sous aucun prétexte !
Comment a-t-il été possible pour le chien et le chat, deux prédateurs, deux chasseurs, deux « mangeurs de chair », d’être incorporés dans la famille et la maison humaine (une des proies du chien antique)?
L’explication est simple. Du moins en théorie.
Le chiot et le chaton naissent comme des être immatures; ce sont des êtres en devenir: ils peuvent s’adapter à des environnements très différents, mais seulement pendant une période très limitées de leur développement. Cette période est définie avec assez de précision. Elle s’étend de la 3ème à la 16ème semaine de vie chez le chien, de la 2ème à la 9ème semaine chez le chat. C’est ce qu’on a appelé la période de socialisation.
En fait cette simplification est abusive. C’est une période d’empreinte, de développement de l’attachement, de régulation des perceptions, des émotions, de la motricité, le tout sous-tendu par un développement du système nerveux assez complexe.
Détaillons quelques processus essentiels:
1- L’empreinte: être ou ne pas être, telle est la question!
Le chiot, le chaton, nouveau-né ne sait pas à quelle espèce il appartient. Il l’apprend. Par contact, par jeux (de combat), par interaction.
Cette empreinte décidera quel sera le partenaire social et sexuel prépondérant dans sa vie adulte.
Une empreinte faite sur un sujet n’appartenant pas à l’espèce entraîne des déviations comportementales: les comportements sexuels sont orientés vers le sujet d’empreinte (humain, …). C’est ainsi qu’un chien pubère peut devenir incapable d’accepter faire partie de l’espèce canine et diriger tous ses comportements sociaux et sexuels vers l’être humain dont il croit être un exemple un peu particulier.
2- La socialisation-domestication: sauvage ou domestiqué?
Le chiot, le chaton, n’a pas l’instinct de communiquer avec-, ni d’apprécier la compagnie de l’être humain. C’est encore une acquisition. Cet apprentissage est aisé et se fait par les jeux, mais est limité aux types humains rencontrés. Pour un chien/chat, un homme, une femme, un adolescent, un enfant, un nourisson, une personne de couleur, sont tous et toutes des espèces à part entière, et il lui faudrait idéalement une socialisation à chacune d’elles.
Une socialisation large, bien faite, permet sans doute une généralisation des acquis aux humains en tant qu’espèce; mal conduite cette socialisation est limitée aux types humains qui ont joué avec le chiot et exclut la relation sociale avec les autres types. Le contact ultérieur des types humains mal connus engendre crainte, peur et anxiété.
Si un chien doit vivre avec des enfants, il faut qu’il ait rencontré des enfants avant l’âge de 3 mois, qu’il ait joué avec eux et ait noué des relations positives, génératrices d’attachement.
C’est la même chose pour la socialisation à des espèces érangères comme le chat pour le chien (et inversément), le lapin, etc..
Cette socialisation subit une dégradation avec le temps. Des interactions positives (surtout des jeux) doivent être répétées afin que la socialisation et l’attachement soient entretenus et s’amplifient. L’attachement empêche l’agression de chasse.
Ces deux règles: socialisation avant 3 mois et entretien des interactions, devraient être érigées en lois incontournables pour tout chien ou chat obligé de vivre avec un sujet d’une espèce étrangère.
3- Adaptation à l’environnement: une recette contre la peur!
Le chiot/chaton apprend à tolérer les stimulations de son environnement; il s’y habitue. Il met en mémoire une sorte de niveau de stimulation de référence.
S’il vit cette période de croissance dans un milieu calme et est ensuite transféré en ville, après l’âge de 3 mois, il sera surstimulé par rapport à son niveau de référence; cet excès de stimulations est stressant; le chien devient peureux, phobique, anxieux.
Le chiot/chaton qui doit vivre avec des enfants doit avoir rencontrer l’ensemble des stimulations que produisent les enfants et les environnements d’enfants avant l’âge de 3 mois.
Si le chiot/chaton a été en contact avec une large gamme de stimuli, s’il n’est pas anxieux ou ne souffre d’aucune pathologie empêchant l’apprentissage, il peut apprendre à tolérer, même apprécier, les environnements d’enfants (généralisation à partir des acquis antérieurs).
4-Régulation motrice et apprentissage de la morsure inhibée: ou comment garder le contrôle de soi en toutes circonstances!
Les jeux de combat entre chiots/chatons engendrent des morsures (avec les dents de lait, très pointues) douloureuses. Le chiot mordu crie, puis mord son adversaire. Ainsi, cris et morsures sont associés et le chiot/chaton apprend à contrôler ses morsures, et l’ensemble de ses productions motrices.
La mère chienne/chatte intervient aussi activement, vigoureusement à force de « claques » et de morsures, pour limiter l’agitation de ses rejetons.
La peau humaine étant plus sensible encore que la peau de chien/chat, le propriétaire doit éduquer l’animal à contrôler d’avantage encore les morsures, griffades, courses, et généralement le manque de contrôle et l’impulsivité des chiots/chatons. Pour ce faire, il leur faut imiter les chiens/chats et mordre ou pincer l’animal (au niveau de la face, du cou ou des oreilles) jusqu’à ce qu’il crie. Ce comportement, demandé aux adoptants d’un animal, n’est pas à considérer péjorativement: il s’agit d’une forme d’éducation indispensable, pour le bien de l’animal et de son intégration dans le groupe social humain. Il n’y a là aucune intention méchante, ni de sadisme; que l’on me comprenne bien; il s’agit de respecter le langage que comprend l’animal et appliquer juste la quantité punitive nécessaire et suffisante pour engendrer l’arrêt du comportement nuisant. Cette punition est plus efficace et moins stressante, moins génératrice d’anxiété que de se fâcher, crier sur l’animal, ou de le frapper avec un journal, par exemple (ce que je déconseille formellement).
L’harmonie au bout du long chemin de l’éducation
Nous verrons ultérieurement les moyens dont disposent le chien, le chat et l’être humain pour communiquer entre eux, et comment cela peut entraîner l’harmonie ou la confusion dans les groupes.
Pour profiter au maximum du contact social avec un animal de compagnie, il faut que cet animal réponde à l’attente humaine. Le chien, plus que le chat, se prête assez volontiers à ce jeu de rôle pour autant que l’ensemble des critères de socialisation et de sociabilité aient été respectés. A ce moment l’harmonie est possible.
Docteur Joël Dehasse
Médecin vétérinaire comportementaliste