Rambo est sur le lit, bien planté sur ses pattes raidies, la tête haute, le poil hérissé; il grogne sourdement. Son propriétaire n’en est plus maître. A la moindre tentative de se glisser sous les couvertures pour rejoindre sa compagne déjà endormie, Rambo gonfle les pectoraux, découvre les dents, présente les armes. Rien à faire; cette nuit monsieur dormira sur le sofa. Rambo est un caniche de 3 kilos.
Oscar se dirige vers la table. Oscar renifle et trouve les mêts très appétissants. Oscar grogne, tout le monde se fige. Oscar se sert dans une assiette, se lèche les babines et va se coucher dans l’entreporte entre la cuisine et la salle à manger. Personne ne pourra se rendre à la cuisine tant qu’il en contrôlera l’accès. Oscar est un Saint Bernard de 2 ans.
L’agression compétitive est un comportement normal chez le chien. Rien de pathologique là dessous tant que les séquences comportementales sont intactes. Ce n’est pas parce que nous vivons avec des chiens depuis plus de quinze mille ans qu’ils ont perdu toute agressivité.
Cette agression s’exprime lors de compétition pour l’accès à un aliment, pour la maîtrise d’un espace, pour le contrôle d’un partenaire social ou sexuel. Cette forme d’agression dépend donc du statut hiérarchique respectif de l’animal et de ses propriétaires.Nous avons déjà parlé de hiérarchie le 26 juillet.
La séquence de l’agression compétitive présente 3 phases: l’intidimation, l’attaque et l’apaisement. Le tableau vous donnera les fréquences de chacun des comportements de la séquence.
Phase | Comportements | Fréquence |
Intimidation | Grognements | 97 % |
Hérissement du poil du cou | 90 % | |
Oreilles et queue dressées | 98 % | |
Pattes et corps raides | 94 % | |
regard: yeux dans les yeux | 79 % | |
Attaque | pincement bref | 69 % |
morsure contrôlée en tenant | 53 % | |
claquement des dents dans le vide | 4 % | |
Apaisement | pattes antérieures sur le torse | 41 % |
pattes antérieures sur les genoux | 39 % | |
léchage de la région mordue | 45 % | |
mordillement des cheveux ou d’une oreille | 25 % |
La phase d’attaque n’est présente que lorsque les menaces sont insuffisantes, bien entendu. Deux types de morsure sont présentées: une morsure de type pincement, et une morsure forte avec lésions corporelles. Ces deux morsures correspondent à des statuts sociaux différents du chien: le chien challenger est celui qui, de statut intermédiaire entre dominant et dominé, se croit de même niveau hiérarchique et défie ses propriétaires.
Morsure de type pincement, mise en bouche, morsure contrôlée | chien dominant |
morsure forte et tenue, avec lésion corporelle, mal contrôlée | chien challenger |
Un chien menaçant exprime son désaccord avec certaines situations. Si son avis n’est pas respecté, il ira plus loin, c’est à dire dans la seconde phase, celle de l’attaque. On peut affirmer qu’un chien qui grogne mordra un jour. C’est une certitude.
Le chien dominant n’inflige pas les plus fortes morsures. Le chien challenger est bien plus dangereux alors que son statut social est bien plus facile à modifier. C’est à retenir.
La phase de l’apaisement est généralement mal connue et très mal comprise. C’est le dominant qui vient avec une attitude haute dire au dominé que le conflit est terminé. Le chien vient lécher la région mordue. Vient-il demander pardon, comme le croient bien des gens? Non, il vient demander votre soumission. Le propriétaire mordu qui accepte le léchage par son chien reconnaît implicitement avoir perdu le conflit et être descendu d’un échelon dans la hiérarchie.
Lorsque ces agressions compétitives se produisent fréquemment, il faut penser à un problème de hiérarchie. Le chien ne forme pas une hiérarchie à lui tout seul; il ne la forme qu’avec ses congénères ou des personnes dans un système familial. Lorsque l’agression hiérarchique est présente, ce n’est pas le chien qui est « malade » mais le système qui communique mal et dans lequel les rapports de force sont altérés.
On est en droit et en devoir de s’inquiéter dès qu’un chien grogne et, bien entendu dès qu’il mord. Il faudra diminuer l’agressivité du chien qui risque bien vite de développer des formes agressives conditionnées, qui sont pathologiques, avec des morsures directes. Ce ne sera pas à force de punitions, ni de tractions de laisse attachées à des colliers étrangleurs, ce ne sera pas en forçant le chien au coucher immobile, qu’on arrivera à baisser son niveau hiérarchique tout en conservant sa confiance et son amitié. Cela se fera notamment avec des médicaments régulateurs de l’agressivité et avec des techniques éducatives douces. Mais il faudra aussi apprendre de nouveaux moyens de communication aux propriétaires et les rendre plus dominants que le chien. C’est donc le système familial qui entre en traitement, et non le chien tout seul.
Il faut s’inquiéter lorsqu’un chien grogne, montre les dents ou mord. Il faut consulter son vétérinaire le plus tôt possible car il est bien plus aisé de traiter au stade des menaces que lorsque la confiance est ébranlée par des morsures. A ce moment, même si le chien n’est plus agressif, il faut de nombreux mois pour reconquérir la confiance perdue entre humain et chien.
Dr Joël Dehasse
Médecin vétérinaire comportementaliste