Les pays qui entourent la Belgique éditent des lois pour interdire certaines races de chiens. Aux Pays-Bas les Pitbulls doivent être castrés. On espère ainsi que la race disparaisse. En France un projet de loi va dans le même sens. Des règlements communaux en Belgique tentent de reproduire les mêmes exigences.
Cette question entraîne plusieurs réflexions?
- Y a-t-il des races dangereuses?
- Un chien est-il dangereux spontanément?
- Quelles décisions politiques pour réduire le danger lié aux chiens dangereux?
Je désire vous faire part d’une réflexion qui va au-delà du cas individuel. Il est évident que si on doit prendre une décision au sujet d’un chien dangereux, qui a agressé un enfant, on a plusieurs choix: réaliser une expertise, et ensuite prendre une décision thérapeutique (le soigner) ou de protection de la société (l’euthanasier, lui enlever les crocs, le museler, …).
Je voudrais monter le niveau du débat. Parlons non plus d’un accident isolé, mais d’une série, disons de 100 ou de 1000 accidents. En Belgique, on peut évaluer qu’il y a 80.000 morsures de chiens par an dont les humains sont victimes, dont probablement un millier de morsures graves. Ces morsures ne sont pas répertoriées, puisque leur déclaration n’est pas obligatoire légalement.
Quelles morsures feront la une des médias? Celles des chiens réputés dangereux. Si un golden retriever envoie sa maîtresse à l’hôpital, cela ne suscite aucun intérêt médiatique. Mais qu’un pitbull morde quelqu’un, et tout le monde sera informé.
Jetons donc l’anathème aux races de chiens dangereux: Pitbull, Dogue Argentin, American Staffordshire Terrier, Rottweiler, …). C’est oublier que derrière ces races se cachent des hommes. Certains éleveurs ont créé des lignées, des familles, au sein de ces races afin de leur donner plus d’impulsivité. Certains éleveurs ont élevé ces chiens en isolement social afin d’augmenter leur sensibilité et leur crainte de l’inconnu.
Certains dresseurs ont augmenté le mordant de ces chiens afin d’en faire des machines à mordre, des chiens de combat. Cette tendance a toujours existé. Des chiens de guerre, de combat, ont toujours existé: pensez aux molossoïdes dont sont dérivés les rottweiler mais aussi le saint-bernard et tous les chiens de montagne, pensez au shar-pei, pensez au bull-dog. Pourquoi ne pas interdire toutes ces races aussi?
La génétique – comme le démontrent les études d’héritabilité comportementale – intervient environ pour 20% dans le déterminisme d’un comportement. Cela laisse tout de même 80% d’influence à l’environnement, à l’éducation, à la socialisation.
Avant de développer un racisme canin, ne ferait-on pas mieux de s’attaquer à la vraie cause du problème? Pourquoi les gens acquièrent-ils des chiens d’une race réputée dangereuse? Et là le vétérinaire comportementaliste doit céder la place au psychologue et au sociologue qui parlent de problèmes globaux (insécurité urbaine, gangs de banlieue) ou individuels (machisme, narcissisme, …). Derrière la race dangereuse se cache une idéologie de groupe ou un fantasme personnel qui pourrait parfois s’énoncer ainsi: « Je sais que la race a une réputation dangereuse, mais moi je saurai mater mon chien » ou « moi je saurai en faire un chien sociable et équilibré ». Il y a beaucoup d’autres hypothèses.
Un chien est un chien
Dans les limites des 20% de déterminisme génétique, un chien est un chien. C’est à dire que tout chien a globalement les mêmes potentiels et peut les développer. Interdisons les races dangereuses et dans 5 ans, nous verrons apparaître de nouvelles races dangereuses inattendues. On pourrait très facilement faire, à partir de lignées de labradors impulsifs et hyperactif, des chiens de combat en 5 ans. Faudra-t-il alors interdire les labradors? Et que dire du Jack-Russel terrier dont le standard américain exige qu’il soit un chien de travail hyperactif; il devrait encore aujourd’hui – comme le fox terrier – descendre dans un terrier, faire face à un renard qui défend sa vie, aboyer pour prévenir le chasseur, le tuer éventuellement ou l’agripper au cou et le ramener à reculons jusqu’à la sortie. Voilà un chien qui a un potentiel létal. Pourquoi ne pas l’interdire aussi.
A ce rythme, il ne nous restera bientôt que des chiens en peluche.
Quelle politique pour les chiens dangereux
Interdire une race ne supprimera pas le risque de morsure. Le chien mordeur est, deux fois sur trois, le chien de la famille ou celui des amis ou des voisins. Alors, quelle politique faudrait-il adopter?
- Identifier les chiens et leur propriétaire(s).
- Déclarer les incidents et les accidents liés à l’agressivité d’un chien. Le procès-verbal reprendrait la description de l’accident, du contexte, des certificats de médecin (description des plaies).
- Expertise du chien par un vétérinaire (comportementaliste).
- Si nécessaire, communication du dossier aux organismes de protection (SOS enfants, …) et/ou aux instances judiciaires adéquates.
- Etablissement de mesures individualisées de protection de la population par les autorités communales, assistées des vétérinaires spécialisés en comportement, assistants sociaux, psychologues – afin de réduire ou supprimer le risque de danger – en envisageant toutes les solutions acceptables: chenil, muselière, médication régulatrice ou sédative, replacement, euthanasie, etc.
Dr Joël Dehasse
Médecin vétérinaire comportementaliste