Voici une question qui préoccupe de nombreux scientifiques du comportement animal: « les comportements d’un chien ou d’un chat peuvent-ils être pathologiques? » Si oui, quels en seraient les critères?
De nombreuses définitions ont été proposées.
La première est qu’une population animale possède une série de comportements communs (dans le sens de « ordinaires »). On a proposé que la pathologie soit une déviation de cette norme. Cela n’a pas fait plaisir à d’aucuns qui n’acceptent pas que la norme soit établie par des valeurs statistiques. Les statistiques permettent d’établir un consensus artificiel: par exemple on pourrait considérer comme normaux 95% des animaux. Des lions en cage qui déambulent sans arrêt toute la journée, en faisant des mouvements répétitifs (appelés stéréotypies) seraient ainsi normaux, alors qu’on reconnaît qu’une stéréotypie est un comportement pathologique. C’est le cas des chiens ou chats qui tournent sur eux-mêmes et s’apaisent un moment lorsqu’ils capturent leur queue ou un membre postérieur. Ils se mettent alors à lécher ou ronger l’organe capturé, se provoquant des dépilations ou plaies de léchage. Inutile de leur couper la queue! Certaines de ces stéréotypies répondent très bien à des médications appropriées.
Un autre auteur proposa de définir la normalité lorsque l’environnement correspond à la programmation génétique de l’animal. Ainsi le lion est il normal dans la savane et pathologique en cage ou en zoo. Mais les chiens et les chats sont-ils tous pathologiques, eux qui ont perdu leur biotope naturel sauvage pour vivre en appartement?
Non satisfait par ces définitions, on a alors proposé que l’animal normal essaie de s’adapter à son environnement. Ces tentatives peuvent être appropriées ou inappropriées, être couronnées de succès ou échouer. L’animal peut devenir malade et perdre ses capacités reproductrices. Cette définition permet d’expliquer la sélection naturelle; lors de changement dans l’environnement, les animaux qui s’adaptent le mieux se reproduisent plus et sélectionnent les caractéristiques génétiques les plus favorables dans ce nouveau milieu. Dès lors, ce sont parfois ces individus marginaux qui s’adaptent le mieux. Etre une mouche sans aile semble pathologique; mais dans des contrées battues de vents violents, les mouches ailées s’envolent et disparaissent et les mouches sans ailes se reproduisent gaiement. Pour un chat sauvage, être indifférent aux oiseaux et souris qui animent les jardins serait une catastrophe; de quoi se nourrirait-il? Mais pour un chat d’appartement, c’est une aubaine … pour les propriétaires qui ne se font pas attaquer les chevilles. Dès lors, un comportement non adaptatif dans la nature devient adaptatif dans un environnement artificiel. Mais quel est le chat d’appartement qui se nourrit encore de sa chasse? Ce critère n’est plus indispensable pour la survie des plus débrouillards de l’espèce.
La génétique est importante mais jusqu’à un certain point seulement. Dans l’ensemble des études comportementales d’héritabilité (ce qui est hérité génétiquement), on ne met en évidence en moyenne que 20% pour l’influence génétique, ce qui donne la large part d’action, soit 80%, à l’influence de l’environnement.
Un auteur écrit que les animaux ont des comportements flexibles, jusqu’à un certain point. Ce point de rupture entraîne l’état pathologique. L’animal devient malade ou son bien-être s’en ressent. Cette idée est plus riche d’informations intéressantes. En effet, si l’animal vit dans une peur constante, c’est à dire s’il est anxieux, son organisme se détériore: il va développer progressivement une insuffisance immunitaire, et souffrir d’un épuisement de la fonction de la thyroïde ainsi que de la surrénale et va de moins en moins réagir efficacement aux stress. Il mourra plus rapidement qu’un animal non anxieux.
On en arrive ainsi à une définition plus correcte. Un comportement est normal, ou physiologique, quand il est adapté et permet à l’organisme de revenir à son point d’équilibre. Un comportement pathologique a perdu ses fonctions adaptatives et l’organisme n’est plus capable de revenir à l’équilibre.
Ainsi un chien aboie-t-il si un bruit étrange se fait entendre. Dès son inquiétude calmée, il se taira. Mais un chien qui aboie longtemps après l’arrêt du bruit, qui reste agité et haletant, présente des comportements pathologiques. S’il aboie de façon répétée pour des bruits familiers (s’il ne s’y habitue pas), il présente une hypersensibilité qui n’est pas adaptative. Il en est de même s’il se lèche une patte jusqu’à se faire des lésions, s’il tourne sur lui-même plus de quelques minutes, s’il regarde fixement le mur alors qu’il n’y a objectivement rien à voir, s’il panique pour un bruit habituel, s’il se réveille à 3 heures du matin sans raison, s’il est agité au moment du coucher, s’il n’a pas de satiété, s’il a des désirs sexuels permanents, etc. A ce moment, sûrement, il faudra le soigner.
Dr Joël Dehasse
Médecin vétérinaire comportementaliste