Belle est un Montagne des Pyrénées de 4 ans. Elle aboie et c’est gênant. Elle est en permanence aux aguets, elle est obnubilée par les chats, et à chaque fois, elle aboie. Il faut la faire taire. On a tout essayé: du collier anti-aboiement à la citronnelle, aux punitions par jet d’eau, à la punition verbale ou physique. Rien n’y fait. De plus, elle répond désormais aux punitions par des morsures. Irritable, irritée, elle grogne puis mord puis va se cacher craintive sous la table, dans une attitude nette de chien dominé. La relation se détériore. Quelle pourrait bien être la solution?
Et il faut à tout prix trouver cette solution. On l’aime, Belle. Et puis elle a une relation unique de tendresse et d’empathie avec Paul, 9 ans, trisomique, et très malin, comme nous allons le voir plus loin.
Recky est un croisé berger de 6 ans terriblement costaud. Il tire en laisse pour agresser les autres chiens. Ce ne serait pas un problème si le propriétaire était aussi costaud que lui. Mais le propriétaire est une dame. Elle vit seule à l’orée d’un bois. Elle a 76 ans. Elle a trois chiens. Et cela commence à être pesant et fatigant. Elle a acquis Recky, chien battu, chez un alcoolique, à l’âge de 7 mois. Et elle désire un changement dans ses comportements.
Le désir de changement est le moteur de la demande de consultation.
La consultation va se passer en plusieurs temps, que je pourrais, pour raisons didactiques, présenter de la façon suivante:
- L’examen du chien va déterminer s’il est normal ou s’il présente des signes de pathologie comportementale. La première chose à déterminer est de savoir si les séquences sont intactes. Par exemple, l’agression hiérarchique et par irritation présentent trois séquences: l’intimidation, l’attaque avec ou sans la morsure, et l’apaisement. Si l’intimidation est réduite, si l’attaque est violente et perd tout autocontrôle, elle devient pathologique. Alors il faudra traiter avec des médicaments.
- L’examen du système de relations (la famille-meute) va déterminer si la communication passe bien ou s’il existe des problèmes de compréhension mutuelle.
- L’examen des solutions déjà mises en pratique sans succès va permettre d’élaborer des solutions nouvelles et originales. Il est tout à fait possible que les bonnes solutions existent déjà mais sont parfois pas inapparentes ou ne sont pas remarquées ou appliquées par l’ensemble des personnes.
Dans les deux exemples de cet article, je me suis rendu compte que les propriétaires tentaient de punir les comportements gênants du chien. Mais une analyse de l’histoire des chiens démontre qu’ils font la seule chose qu’il leur est possible de faire: ces chiens n’ont à leur disposition, en fonction de leur développement, de leur éducation, en somme de leur culture, qu’une seule stratégie disponible: aboyer ou agresser.
Et les propriétaires font du mieux qu’ils peuvent, eux aussi.
Il faut donc trouver une solution originale pour les chiens et leurs propriétaires.
Et si on apprenait aux chiens à avoir une seconde option stratégique? Si c’était possible, ils auraient alors le choix entre deux comportements. Il faudrait que ce second comportement soit agréable pour tous, qu’il soit aussi un comportement autorégulé, contrôlé.
En psychologie expérimentale, il est aisé de suggérer de nouveaux comportements sur une base acquise. La majorité des chiens connaît un conditionnement simple: « assis ». Or cet « assis » nécessite un certain calme, un certain contrôle. Une condition indispensable est de renforcer la séquence de comportement jusqu’à ce qu’elle soit conditionnée, jusqu’à ce qu’elle devienne quasi automatique. Le renforcement passe par une récompense. En psychologie expérimentale, la récompense doit toujours être extraordinaire. En termes péjoratifs, il faut « acheter » le chien; le chien doit avoir plus d’intérêt pour l’acte demandé que pour le stimulus extérieur qui l’excite. Et neuf fois sur dix, un aliment appétissant (biscuit, fromage, …) servira d’appât. Une autre condition est d’intervenir le plus tôt possible lors de l’excitation du chien: quand on pense qu’il va s’exciter, beaucoup plus que quand il est excité depuis 5 minutes.
Alors, la procédure est toute simple.
- Le stimulus déclenche l’excitation du chien
- Très vite, on appelle le chien
- « Assis » et récompense (extraordinaire)
La seule difficulté de la procédure est qu’il faut répéter des dizaines de fois l’exercice avant d’obtenir des résultats satisfaisants.
Mais l’avantage, c’est que les 45 kilos de Recky peuvent très aisément être manipulés par sa propriétaire de 76 ans. Et que les propriétaires de Belle ne rentreront plus en conflit avec elle, évitant toute agression.
Et, l’aviez vous deviné? Paul, petit garçon trisomique de 9 ans, avait trouvé la solution et l’appliquait déjà à la maison.
Dr Joël Dehasse
Médecin vétérinaire comportementaliste