Jessie est un croisé berger de 9 ans, légèrement obèse. Par périodes, Jessie gratte le sol pendant des heures. Pendant ces mêmes périodes, elle mange et dort moins de 5 heures par jour. En dehors de ces périodes, elle mangerait tout le temps (et s’assied en gémissant devant le frigo), et elle dort plus de 15 heures par jour.
Sam est un cocker tricolore de 5 ans. Sam est le chien le plus charmant qui soit sauf quand il est en crise. Alors Dr. Jekyll devient Mister Hide. L’œil noir, Sam guette à côté d’un mouchoir volé et agresse violemment certaines personnes qui s’approchent de lui. Après quelques heures ou quelques jours, Sam reprend ses yeux attendrissants de cocker et on lui pardonne.
Fée est une chatte abyssin de 3 ans. Elle s’entend généralement bien avec Carole, la siamoise. Mais par périodes, c’est le conflit. Fée guette Carole, elle la poursuit, lui rend la vie impossible. Carole se défend et les poils volent dans tous les sens. Ou Carole fuit. Quand la crise est passée, Fée vient se frotter à Carole, elle la lèche, la lave. Mais Carole ne sait plus quoi anticiper et est devenue anxieuse.
Chiens et chats souffrent parfois de variations d’humeur. Troubles du sommeil, du comportement alimentaire, et des relations sociales, présence d’impulsivité et de stéréotypies (mouvements répétitifs non fonctionnels), sont les caractéristiques essentielles des crises « productives » de cette pathologie. Car il s’agit bien d’une maladie, appelée dysthymie. Des essais médicamenteux fructueux ont permis de découvrir la perturbation responsable dans la chimie et l’électricité du cerveau. Et désormais des traitements sont disponibles.
Des discussions avec les psychiatres humains ont également permis d’avancer l’hypothèse de similitudes frappantes entre la dysthymie du chien ou du chat et les états maniaques ou maniaco-dépressifs de la médecine humaine. En effet, la dysthymie se décline sous deux formes:
- la dysthymie unipolaire: alternance entre une phase productive et une phase normale, dite de stabilisation.
- la dysthymie bipolaire: alternance entre une phase productive et une phase de dépression.
Quelles sont les causes des dysthymies?
Génétique | 5 % |
Trouble somatique | 15 % |
Dépression | 5 % |
Anxiété non traitée | 60 % |
Inconnue | 15 % |
Il y a des races prédisposées à faire des dysthymies. Chez le chien, c’est le cas du cocker spaniel, du berger des Pyrénées, du bull-terrier, du doberman, du westy et du bichon frisé. Chez le chat, on a rencontré plus de dysthymies chez l’abyssin.
Parmi les troubles somatiques responsables, on rencontre de nombreuses perturbations hormonales, allant de la grossesse « nerveuse », aux troubles de la sécrétion des glandes surrénales (cortisol, …), aux variations des hormones sexuelles. Et dans ce cas, la stérilisation (castration) permet de stabiliser partiellement les variations d’humeur, ce qui facilite alors l’effet du traitement médicamenteux. D’autres causes corporelles se retrouvent dans des motifs aussi variés que la douleur chronique et la tumeur cérébrale.
De nombreuses dysthymies sont dues à des affections émotionnelles qui n’ont pas été traitées: anxiété et dépression. Un chien anxieux a de grands risques d’évoluer un jour en dysthymie. Si l’anxiété a été tolérée pendant des années, les comportements impulsifs et agressifs périodiques du dysthymique ne seront plus appréciés. Les demandes d’euthanasie sont alors fréquentes. Et c’est bien triste puisque ces animaux peuvent être soignés.
Comment savoir si son chien ou son chat souffre de dysthymie (unipolaire)?
Pour en être certain, il faut que l’animal présente obligatoirement les signes suivants:
- Changements brutaux et prolongés de l’humeur, indépendamment des changements de l’environnement.
- Périodes productives caractérisées par:
- de l’excitabilité excessive
- une réduction de la quantité de sommeil (moins de 10 heures par jour)
- une agitation, ou l’incapacité d’arrêter normalement divers comportements auparavant bien régulés (déambulations, grattage du sol, aboiements continus, tournis avec ou sans capture de la queue, …)
Certains signes facultatifs peuvent compliquer ce tableau:
- agression dite par irritation, quand le chien est frustré, puni, manipulé, …
- ingestion très rapide du repas et régurgitation.
- périodes de regard fixe envers un objet, de plus d’une trentaine de secondes.
- obéissance réduite ou aléatoire.
- le chien tente de passer par des passages trop étroits.
Dans la dysthymie bipolaire, cette phase est alternée avec des périodes de dépression.
Pourquoi insister sur cette maladie?
On confond trop souvent cette maladie avec un problème de hiérarchie. Si un chien est dominant ou mal situé dans la hiérarchie, son agressivité est explicable; elle est normale. Mais il y a de nombreuses autres formes d’agressivité, et certaines sont pathologiques. Dans la dysthymie, c’est le cas. Et c’est aussi une des rares maladies où le traitement médicamenteux suffit généralement seul à faire tout le travail pour obtenir la guérison.
Dr Joël Dehasse
Médecin vétérinaire comportementaliste