Bobine – un petit bichon femelle – est inquiète. Sa propriétaire s’agite, cherche ses clés, enfile son manteau: elle se prépare à partir. Bobine la suit, d’une pièce à l’autre. Sa propriétaire se penche vers elle: « Bobine, sois bien sage. S’il te plaît, ne détruis rien aujourd’hui et n’aboie pas, je ne désire pas une nouvelle plainte des voisins. » Après ces paroles qui se veulent rassurantes, madame la propriétaire lui donne un os et s’en va. Bobine laisse tomber l’os par terre, et explose en aboiements. Son cœur s’emballe, sa respiration est haletante. Sans réponse à son S.O.S., elle cherche ci et là l’odeur de sa maîtresse. Elle la retrouve sur le sol, sur des fauteuils, sur des vêtements, dans la corbeille à linge. Entre deux aboiements, elle lèche cette odeur, renverse le linge sale et le transporte à son panier. Là, elle se calme un instant en mâchonnant. Elle s’assoupit même, mais un bruit la réveille en sursaut et elle aboie. Ce manège se répétera plusieurs fois au cours de la journée. Les voisins, excédés, sont venus tambouriner sur la porte. Elle a vaillamment défendu l’appartement. Entre deux destructions vestimentaires, Bobine s’apaise en se léchant le pelage. Elle s’est fait une vilaine plaie sur le bras gauche et les pommades n’y font rien.
A seize heures, l’horloge biologique de Bobine a réveillé ses angoisses. Le retour de maîtresse est imminent. Et l’appartement est sens dessus dessous. Anticipant une correction, verbale – Bobine n’est jamais frappée – et une colère retentissante, Bobine se tasse dans son panier. La clé tourne dans la serrure. Que faire? Accueillir avec joie, se cacher dans un coin sombre? Bobine utilise le répertoire des comportements de son espèce – elle va produire une posture d’apaisement: elle s’avance, la queue entre les pattes, et émet quelques gouttes d’urine et attend de sa maîtresse une attitude dominante et sereine. Mais sa posture, loin d’apaiser, active la colère: « je le savais. Qu’as-tu encore fait? On ne peut pas te faire confiance! De quoi es-tu encore coupable? » Bobine file dans son panier. L’invective se poursuit.
Après une demi-heure, la sérénité est revenue. Bobine est sur les genoux de sa maîtresse et n’en décollera plus. Elle l’accompagnera partout, de la cuisine à la salle de bain, du salon à la chambre, sur le lit.
Bobine, et des centaines, des milliers de chiens comme elle, vivent cet enfer tous les jours. On a étiqueté leur problème: anxiété de séparation . Récemment, on a aussi donné un autre petit nom à cette pathologie: hyperattachement . Car l’un ne va pas sans l’autre.
Il y a deux formes d’hyperattachement.
- Le premier résulte d’un arrêt dans le processus normal du développement du chiot. Après une période d’attachement à la mère, le chiot subit un détachement obligatoire. Il en résulte une autonomie, la capacité de se gérer seul et un attachement au groupe. Lors d’adoption d’un chiot, ce processus doit être reproduit, au plus tard à la puberté. Si on laisse le chiot suivre sans arrêt un des propriétaires, il en résulte souvent un hyperattachement. Cela signifie que le chiot est incapable d’être autonome, qu’il reste infantilisé et généralement, il lui manque certains comportements du chien adulte. La résultante: à chaque séparation, il fait une crise d’anxiété. Cette forme d’hyperattachement est facilitée chez les chiens anxieux, notamment chez les chiots qui ont vécu une période de socialisation incorrecte.
- La seconde forme d’hyperattachement est une réponse à une modification de l’environnement: l’absence d’un être cher, un déménagement, le retour de vacances… Le chien souffre alors d’une dépression.
Dans les deux cas, des traitements sont applicables. Une combinaison entre un traitement médical, classique à base d’antidépresseurs et d’anxiolytiques, ou homéopathique, et d’une thérapie comportementale, arrive à guérir plus de 80% de ces pathologies qui font souffrir autant le chien que ses propriétaires (et parfois les voisins). Le résultat n’est jamais immédiat. Les médicaments n’ont pas pour but de faire dormir l’animal – tout apprentissage serait impossible – mais d’induire un état de sérénité et de permettre à la thérapie de détachement d’être mise en place.
Une des grosses difficultés de la thérapie est d’induire un détachement suffisant pour permettre l’autonomie du chien et la tolérance de la séparation. L’hyperattachement est un processus réciproque. Il y a autant de difficulté à détacher le propriétaire du chien que la réciproque. A ce moment, le processus de guérison nécessite plus de patience et de compétence de la part du vétérinaire éthologiste, partiellement psychothérapeute pour la circonstance.
Dr Joël Dehasse
Médecin vétérinaire comportementaliste