Voir aussi l’article scientifique (en anglais) (avec photographies), et le livre (en français) sur L’éducation du chien (avec dessins).
L’éthologie est la science de l’observation des comportements en milieu naturel. Chiens et chats sont désormais indissociables des êtres humains avec lesquels ils partagent le milieu de vie. Et dans ce nouveau milieu naturel pour nos compagnons à quatre pattes, nous pouvons faire tous les jours des observations scientifiques intéressantes.
Regardons une maman se comporter avec ses petits. Regardons la dans une interaction particulière, essentielle pour le bon développement psychologique de sa progéniture.
Pourquoi observer les interactions entre mère et chiots ou chatons quand on est vétérinaire comportementaliste? Parce que l’analyse comportementale des animaux adultes nous a révélé que certains chiens ou chats hyperactifs ou incapables de soumission n’avaient pas eu leur mère à un certain âge ou avait eu une mère jeune dont c’était la première portée. Cette mère était-elle compétente?
Pour le savoir, on a filmé des chiots dans leur environnement naturel. Et on a pu observer une séquence de comportement très particulière et spécifique chez les chiens et les chats.
Vers l’âge de 4½ semaines, les chiots ont déjà commencé leurs jeux de combat. Ils se mordent et jappent. La mère les regarde du coin de l’œil, les laissant gérer leurs conflits. Mais brusquement, elle se lève, se précipite sur un chiot gueule ouverte, se saisit de sa tête qu’elle engloutit dans sa gueule; elle bascule le chiot, le jette au sol, il jappe, il crie. La mère lui mordille la tête, les oreilles, la nuque. Elle le relâche. Le chiot s’ébroue, se relève trop vite sans doute. La maman recommence, gueule ouverte, le plaque à nouveau au sol. Le chiot crie. Il reste couché sur le flanc, sur le dos. La mère le libère de son étreinte. Le chiot reste couché. Elle s’éloigne. Le chiot reste immobile trente à soixante secondes. Puis il s’ébroue, se relève et court derrière elle pour un câlin ou pour jouer, ou se replonge dans une nouvelle bagarre.
Vers l’âge de 4 semaines, les chatons se bagarrent entre eux ou attaquent avec vigueur la queue de leur mère. Celle-ci est assez tolérante, mais jusqu’à un certain point. Brusquement, elle se saisit d’un chaton, se couche sur le flanc, agrippe l’avant-corps du chaton et lui laboure le ventre de ses pattes arrières, griffes partiellement dégainées. Devant cette violence, le chaton gémit ou se tait, très surpris, inhibé. Une fois libéré, il restera immobile quelques secondes avant de reprendre ses jeux ou de suivre sa mère, comme si rien ne s’était passé.
Quand on a l’âme tendre, on est surpris face à ces violences sur des petits de chien ou de chat. Mais le chiot ou le chaton s’en tire sans une égratignure. De plus après cette correction sévère, il recherche manifestement le contact apaisant de la mère. Il n’est donc pas traumatisé. Et quand on y regarde de près, on constate que toute cette violence est contrôlée, c’est un ballet orchestré, bien régulé.
On aurait tort d’intervenir.
Si ces comportements ont persisté lors du développement de l’espèce, c’est qu’il a sans doute une fonction utile pour le développement de l’individu.
Quand on regarde une mère débutante face à sa première portée, on constate qu’elle se contrôle mal, qu’elle ne punit pas tous ses chiots de la même façon, que certains échappent à son contrôle et que d’autres sont puni de façon répétitive et rude. Dans la Nature, les canidés et félidés ont généralement des portées de 3 à 4 petits. La domestication a amélioré la productivité et les mères se retrouvent face à des portées de 6 à 12 dont elles ne savent que faire. Impossible d’éduquer tout le monde! Est-il étonnant dès lors que les chiots d’une même portée aient des tempéraments différents, que certains, non contrôlés, deviennent impulsifs et hyperactifs et d’autres, trop inhibés, aient tendance à être craintifs ou anxieux, tandis que quelques uns se développent harmonieusement.
Après plusieurs gestations, les compétences éducatives de la mère s’améliorent et ses enfants se développent dans de meilleures conditions psychologiques.
L’éleveur, l’acquéreur doivent reproduire le travail des mères et cela avant la fin du développement cérébral, avant l’âge de 3 à 3½ mois. Il faut imposer des arrêts au cours des jeux, des postures d’inhibition, des coucher sur le dos pour les chiots et des griffades de ventre pour les chatons. Il faut recommander les jeux d’autocontrôle: jeux de balle avec rapport et lâcher de balle. Il faut interdire les jeux de traction sur des objets.
Tout laisser-aller de même que tout autoritarisme excessif est contraire au bon développement du petit animal. L’excès de tolérance ou d’intolérance est à la base de nombreux désordres comportementaux.
Dr Joël Dehasse
Médecin vétérinaire comportementaliste