Alfred, un petit chat noir, court en tous sens dans l’appartement. Il saute de fauteuil en canapé, grimpe aux murs, se jette contre la fenêtre (fermée heureusement), rebondit, et se lance dans l’autre direction. Sa crise durera un petit quart d’heure. Il la répétera tous les jours. Le seul ennui, c’est que cela se passe à 5 heures du matin.
Poussy est une chatte tricolore. Elle attend, tapie sous un meuble, le passage de sa propriétaire. Les hauts talons résonnent et sautillent sur le parquet. Poussy n’a d’yeux que pour eux; elle trépigne sur place, s’élance et capture sa proie qui crie et sursaute. Maîtresse gronde et Poussy s’enfuit.
Une petite enquête a révélé que plus de 80% des chats qui vivent exclusivement en appartement présentent à un degré mineur ou majeur un de ces deux problèmes: la crise motrice ou l’agression de chasse.
Le comportement de chasse est inné. Il est déclenché en présence d’une proie de petite taille, mobile. Il est activé quand le chat a faim. Mais la faim n’est pas indispensable car le chat ne chasse pas pour manger mais pour chasser. En absence de proie, le chat chasse ce qui bouge: une feuille qui volette au vent lui suffit.
Dans un appartement, il n’y a ni souris, ni oiseau, ni feuille qui vole pour étancher le désir de chasse du chat. Alors le seuil de déclenchement de la chasse s’abaisse et le chat guette et chasse ce qui bougera et sera le plus proche de ses proies. La seule chose qui sautille de temps en temps, ce sont les chevilles des propriétaires, ou leurs mains qui tapotent l’accoudoir du fauteuil. Une fois attaquées et mordues, ces chevilles et ces mains trépignent et s’agitent davantage, ce qui réjouit notre petit félin.
Tant que tout cela n’est que jeu de chatons, c’est assez plaisant. Mais une fois qu’un chat adulte s’accroche à vos baskets et vous griffe les mains, ce n’est plus de la rigolade.
Inutile de souffrir le martyr pour garder votre chat. Ce petit problème se soigne aisément. La première chose à faire est de changer régulièrement l’aspect de l’appartement, les surfaces et les volumes: déplacer un simple paravent est suffisant. Ensuite il faut fournir au chat des leurres mobiles, sur le sol et en hauteur. Enfin, pour imiter les 10 à 12 repas qu’un chat prend dans la Nature il faut lui fournir une alimentation répartie sur la journée; il faut multiplier les petits repas ou fournir des croquettes pour autant qu’il en gère lui-même l’ingestion sur 24 heures.
Si tout cela n’est pas assez, c’est que ce comportement est devenu obsessionnel. A ce moment, nous parlons de pathologie et des médicaments s’imposent.
L’autre problème est la « crise motrice » du chat d’appartement. Elle est dérivée des mêmes besoins de dépense physique et l’activité devient parfois spontanée, sans aucun stimulus déclencheur. Ces crises s’observent surtout à l’aube et au crépuscule, les heures d’activité du chat. C’est parfois gênant pour le repos des propriétaires.
Encore une fois, ce problème mineur peut se dégrader et devenir pathologique, quand les crises se répètent, quand elles perturbent la vie du chat et de la famille, quand le chat en souffre. A ce moment des médicaments régulateurs de la motricité et de l’excitation sont conseillés.
Alors, la question doit être posée: le chat est-il fait pour vivre en appartement?
Il est certain qu’un jour les éleveurs nous sélectionneront une version quelque peu aseptisée du petit félin sauvage qui habite dans nos foyers, un chat qui chasserait peu, adorerait le contact, vivrait dans un espace limité, et ne grifferait pas le mobilier, un chat qui se rait peu excitable et vivrait au même rythme horaire que ses maîtres. En attendant, il ne nous reste qu’à sélectionner le chat le plus proche de cet idéal.
Pour cela, il faudrait choisir un chaton d’une chatte d’appartement, sociable, douce, tolérante, et qui aurait peu tendance à chasser. Ce chaton n’aura eu aucun contact avec le milieu extérieur ni avec des proies réelles. Ses comportements de jeux de chasse seront directement orientés vers des jouets mobiles. Il apprendra à contrôler griffades et morsures. Ce chaton sera calme, il n’aura pas tendance à s’échapper rapidement quand pris sur les genoux.
En conséquence, transformer un chat né à l’extérieur en chat d’intérieur est une difficulté majeure. Si c’est votre cas, et que vous subissez les conséquences de crises motrices ou d’agression, n’hésitez pas à faire soigner votre petit chat auprès d’un vétérinaire spécialisé, pour sa santé comportementale et l’harmonie du foyer. Le traitement n’aura pas pour but de lui donner des « calmants » mais plutôt des régulateurs, des stabilisateurs de l’humeur et des techniques éducatives appropriées.
Dr Joël Dehasse
Médecin vétérinaire comportementaliste