« Ma fille a mal aux dents », me disait cette propriétaire. « Mes enfants se disputent sans cesse », me disait telle autre. La fille est un caniche, et les enfants sont des chats.
Pour de nombreux propriétaires, l’animal est un « enfant » adopté. Il possède de nombreux critères infantiles: il est souvent petit, il a la tête plutôt ronde, il vient dans les bras, on le réconforte par des mots doux et des caresses, mais surtout il est dépendant, il a besoin de nous, comme un enfant en bas âge.
Nous faisons tous quelque peu l’erreur d’humaniser nos animaux de compagnie, de leur attribuer des capacités de compréhension d’un enfant en âge scolaire. Mais cette erreur n’est pas grave. Malgré tout ce que l’on raconte, malgré l’usage de termes humains pour désigner chiens et chats, personne ne se laisse abuser par ces « erreurs de langage ». Nos animaux de compagnie sont des animaux. Nous ne pensons pas réellement à eux comme à des personnes un petit peu spéciales. Nous savons très bien que ce ne sont pas des enfants. D’ailleurs nous ne les langeons pas, nous ne les nourrissons pas à la petite cuillère, nous ne leur racontons pas des histoires quand nous les couchons au lit, et si nous leur expliquons ce qu’ils ont fait de bien ou de mal, nous savons bien qu’ils ne comprennent que quelques mots dans notre bavardage.
La réciproque est elle vraie?
Posons-nous les questions suivantes!
Les chiens et les chats savent-ils que nous sommes des humains? Sommes-nous des chiens ou des chats nus, sans poil ou à pelage variable d’un jour à l’autre par le port vestimentaire changeant?
Et s’ils savaient que nous étions humains, auraient ils la capacité de changer leurs façons d’être afin de s’adapter à nous et à nos sociétés?
Comment obtenir ces réponses?
L’analyse du comportement des chiens et des chats dans des groupes à une espèce (entre chiens, ou entre chats) ou des groupes à deux espèces (chien ou chat et humain) permet de tirer quelques conclusions.
Les chiens adultes se comportent envers les humains quasiment comme ils le feraient envers d’autres chiens adultes avec quelques adaptations mineures. Les chiens s’accueillent mutuellement par des contacts de la bouche et ils accueillent les gens de la même façon, mais en se soulevant sur les pattes arrière ou en sautant vers la figure, adoptant dès lors une position bipède. Les chiens apprennent et comprennent quelques mots de vocabulaire humain et la signification des gestes. Ils s’adaptent à la vie urbaine et rurale, aux périodes de travail, aux vacances, aux changements d’heure, et se laissent véhiculer en voiture, bateau, avion, ou planche à voile.
Les chiens mâles flirtent avec madame et les chiennes avec monsieur.
Les chats adultes se comportent envers les humains comme ils le feraient envers d’autres chats adultes, envers des chatons et envers le territoire. En fait le chat utilise tous les comportements à sa disposition pour interagir avec le monde environnant dans sa relation avec les gens. Il ronronne et pétrit comme un chaton; il rapporte des proies à ses propriétaires comme une maman à ses chatons; il grimpe sur les jambes comme il monterait aux arbres; il vocalise, griffe et mord comme en face d’autres chats. Par contre les chats flirtent très peu avec les gens.
Pourquoi ces différences entre chiens et chats face aux humains?
Le chien est un animal social et dispose de moyens de communication riches. Il n’a donc pas à inventer de nouveaux moyens relationnels, il utilise ceux dont il dispose. Le chat est un animal solitaire, qui n’apprécie les groupes de chats que lorsqu’il a été élevé en nursery, et qui dispose de moyens de communication pauvres; il utilise tous les moyens relationnels possibles afin de rentrer dans l’interaction avec les gens. Le chat a besoin d’inventer, de s’adapter, plus que le chien.
Mais cela ne répond pas encore à la première question: les animaux nous prennent-ils pour des humains ou pour des congénères nus?
La réponse à cette question se trouve dans le jeune âge. Vers l’âge de 3 à 7 semaines, le chien et le chat apprennent qui ils sont, à quelle espèce ils appartiennent et dès lors quelles sont les espèces étrangères qui peuvent devenir des espèces amies. Ces animaux ne nous voient pas comme des chiens ou des chats, mais comme une espèce amie, faisant partie des espèces humaines (car pour eux enfants et adultes font sans doute partie d’espèces différentes). Cependant ils ne nous croient pas supérieurs à eux sur tous les plans: bien sûr nous sommes efficaces dans le maniement d’outils, mais notre vue des mouvements, notre ouïe des ultrasons, notre odorat et nos capacités athlétiques sont totalement déficients. Et dans un monde de chiens ou de chats où « agir vaut mieux que réfléchir », nous ne faisons pas vraiment le poids.
Dr Joël Dehasse
Médecin vétérinaire comportementaliste